La miresse et la servante

Au lever du soleil, Racoune se réveilla tout frais et dispos, alors que Julia se plaignit qu’elle préférait rester couchée. Elle sortit du lit beaucoup plus tard après que le jour était pleinement levé et qu’elle était la dernière encore dans le dortoir. Un rayon du soleil avait réussi à se faufiler entre les toits de la ville et à pénétrer par la fenêtre jusqu’à ses yeux.

Elle retrouva Racoune à l’extérieur. Il était en train de discuter, sur le pas de la porte, avec un chat qu’ils avaient croisé la veille dans le dortoir, et ils s’arrêtèrent immédiatement de parler lorsque Julia franchit le seuil. Il était vêtu d’un grand manteau recouvrant une modeste armure de cuir et son capuchon rabattu, en pleine ville et par temps clair, le faisait passer pour un fanfaron aux yeux de la jeune femme.

Elle dut admettre, toutefois, que malgré le ciel parfaitement bleu, la matinée était glaciale, et au niveau de la rue, les bâtiments bloquaient la lumière du soleil une longue partie de la journée.

« Ne fais pas cette tête, dit Racoune, on n’est plus en hiver.

— Tu peux bien rire, toi, avec tes quatre épaisseurs de poils », dit Julia sans esquisser un sourire. Des frissons parcoururent tout son corps.

« Tu es prête?

— Prête pour le déjeuner? Je n’attends que ça.

— Je ne pense pas qu’ils nous serviront le déjeuner au palais. »

Julia ne répondit rien, mais elle fixa son compagnon en clignant des yeux à maintes reprises, visiblement confuse.

« J’ai dormi trop longtemps, à ce que je vois.

— Cette personne que frère Mathias voulait nous présenter, elle travaille au palais, dit Racoune. Une certaine Judith Querrel. Il fallait se lever plus tôt pour la rencontrer en terrain neutre. » Il désigna le chat habillé en rôdeur. « Lui, c’est Mirka, un ami que j’ai rencontré lors de mon dernier séjour à la citadelle. Il connait bien cette dame, et le palais également, donc il sera notre billet d’entrée.

— Petite correction, intervint Mirka : je n’ai pas besoin de billet d’entrée, mais vous, madame, aurez surement besoin de ceci. » Il sortit de sous sa cape un rouleau et lui tendit vivement.

« Qu’est-ce que c’est? demanda Julia en s’en emparant.

— Une missive de la part de sire le gardien qui vous autorise à entrer au palais pour rencontrer madame Querrel. Beaucoup plus utile entre les mains d’une femme habillée en conteuse qu’entre les miennes. Vous voyez, elle a passé une bonne partie de sa vie au temple avant de devenir un loyal sujet, et le palais lui accorde souvent des permissions à sa demande. Ce n’est pas comme si son travail la gardait occupée sept jours sur sept, de toute façon…

— Donc, c’est une taupe? » demanda Julia.

Mirka leva une main en signe de surprise. « Oh là, non! rigola-t-il. C’est simplement… une amie à moi.

— Ouais, c’est ça, une amie. Et donc je suis censée servir de billet d’entrée à un raton laveur que personne n’a jamais vu et un chat déguisé en rôdeur? » Elle regarda curieusement la missive qu’elle tenait dans sa main. « Attendez, pourquoi avez-vous décidé de nous suivre? Qu’est-ce que vous faites là? »

Il souleva sa cape et montra son bras droit recouvert d’un bandage.

« J’ai pris un coup, dit-il. Un voyou qui en avait après ma bourse et qui était un peu armé a voulu me transpercer l’épaule. Madame Querrel m’a soigné et elle ne m’a rien demandé en échange. » Il ramena sa cape et dissimula ses bras à l’intérieur. « Manquer mourir en voyant tout son sang se vider par terre et se réveiller alité dans un temple sacré aux côtés d’une femme en train de prier Dieu de vous épargner la mort… ça vous fait quand même remettre beaucoup de choses en question. J’ai certains réflexes de chat qui auraient dû me sauver, mais ils sont faillibles, comme tout dans ce monde. D’où le plastron, vous comprenez, ainsi que la cape pour moins paraitre une proie facile, ainsi que le respect infini que j’ai pour les gens de votre confession.

« Tout ça pour dire qu’ils me connaissent, au palais. Je vais la voir régulièrement. Vous, vous sortez la missive, vous montrez vos blasons, je leur dis qui vous êtes, et vous êtes bons. On y va? »

Alors qu’il termina sa phrase, un groupe de trois hommes cavalant dans la rue se posta devant eux. Racoune les avait aperçus s’approchant, et il avait reconnu les marchands qu’ils avaient rencontrés la veille au pont.

« Comme on se retrouve, madame la conteuse et son animal de compagnie! Vous avez fait bon voyage? »

Julia croisa les bras l’air contrariée.

« Vous avez trouvé des racailles pour acheter votre marchandise? demanda Racoune.

— Bien sûr, qu’est-ce que vous croyez! La vente était signée depuis longtemps, sinon on n’aurait pas fait tout ce chemin. On en a eu pour cent quarante pièces d’or. » Il parlait avec un sourire fendant et un ton moqueur, et l’homme qui le suivait lâcha un rire méprisant.

« Un jour viendra où les gens comme vous seront tous pendus à une corde et ce jour-là, je serai aux premières loges », dit Julia.

L’homme ravala son sourire et descendit de selle. « À condition d’être encore en vie jusque-là », dit-il, s’approchant brusquement sur Julia et l’acculant au mur.

Au même moment, Mirka s’avança d’un pas en sortant de sous sa cape un couteau et, en un mouvement rapide et agile, il le leva entre les deux pour poser la lame sous la gorge du cavalier. « Vous n’attaqueriez pas une femme de Dieu en pleine rue et en plein jour? » dit-il avec une voix mielleuse et un sourire narquois.

Julia ne le quitta pas des yeux, mais elle retint brièvement son souffle pour ne pas trahir sa panique. L’homme fit lentement un pas de reculons.

« Faites attention sur les routes, vous pourriez vous retrouver avec un carreau à travers la tête. Vous ne savez pas à qui vous faites affaire.

— À qui donc? »

Mirka baissa son couteau et l’homme recula doucement vers sa monture. « Benoit de Marcia, dit-il en remontant en selle. J’arpente habituellement les routes d’Alandrève. J’espère pour votre peau qu’on ne se recroisera pas en terrain sauvage… » Ils regardèrent les trois cavaliers partir au trot.

« Je devine que vous ne portez pas d’arme, dit Mirka. C’est peut-être idéal si vous voulez entrer au palais, mais s’il vous plait, veuillez éviter de nous attirer des ennuis en provoquant des gens importants ou impulsifs, car la ville en est pleine. »

Ils se rendirent au palais au nord de la citadelle. De cet endroit Julia n’avait aucun souvenir, elle ne croyait pas y avoir déjà mis les pieds, elle n’avait souvenir que l’avoir observé de loin et d’avoir observé les soldats qui le gardaient et qui circulaient.

Ils pénétrèrent dans la cour sans problème (après avoir présenté leur lettre aux gardes) mais ne prirent pas l’entrée principale; à la place, ils suivirent Marka sur un chemin de galets à travers les jardins jusqu’à une aile est. Après avoir grimpé l’escalier extérieur donnant accès aux remparts, ils marchèrent le long d’un passage couvert qui menait à quelques appartements ainsi qu’à une vue privilégiée sur le jardin et les rues adjacentes. Au bout du passage, Mirka frappa à la porte très fort et avec insistance, car il était visiblement pressé d’entrer.

Ils furent accueillis par une femme pauvrement habillée et qui avait le crâne rasé (c’était suffisamment rare au pays pour que ce fût la première chose que Julia releva), et visiblement cisaillée de fatigue.

Dans un premier temps, Mirka retira ses vêtements et la dame remplaça son bandage. « Je t’ai dit de ne plus mettre cette armure, dit-elle; tu es supposé ménager ton épaule.

— Je sais, répondit Mirka, mais on n’est jamais à l’abri d’un petit accident dans cette ville de voyous. Là c’est l’épaule mais la prochaine fois ce sera le cœur, et une cotte de mailles serait encore plus pesante.

— Dites-moi, madame Querrel, dit Julia qui examinait la pièce; vous êtes bien guérisseuse? Vous devez en savoir beaucoup sur l’entourage du seigneur Warrant.

— Oui, et j’en sais même plus que je l’aurais souhaité, dit-elle. J’ai appris toutes sortes de recettes et de techniques de médecine d’un vieux fou qui se prenait pour un druide, dans un village perdu là-haut dans les Monts doux. Quand je suis arrivée ici, le médecin de la cour qui était tout aussi vieux mais beaucoup plus sage et faible se cherchait un successeur, et sire Laure m’a un peu, disons, tordu le bras pour que je me propose. Je suppose que c’était dans le but d’aider à apporter la voix du Culte aux oreilles de Monseigneur, pour le peu qu’il soit ouvert à écouter. »

Mirka grondait et grimaçait pendant que Judith manipulait son bras. Elle versa quelques gouttes d’un liquide sur sa plaie puis appuya avec un linge.

« Et Monseigneur Warrant accepte que vous soigniez les gens du bas-peuple comme nous dans son palais pendant vos jours de travail? demanda Racoune.

— En cette époque d’accalmie je ne suis pas débordée de travail, répondit Judith. Prions pour que ça dure. La plupart des médecins en ville ne soigneront pas les Fourrures, sauf si c’est leur maitre qui paye, alors je les prends en charge quand je le peux. Ça fait partie de ma mission envers le temple. Comme sire Laure est également chevalier, sa voix a un certain poids ici à la cour. Il parle pour moi, il défend ma cause.

— C’est extrêmement bienveillant et altruiste de votre part », dit Racoune.

Judith se départit des bandages usagés et alla tremper ses mains dans un seau d’eau.

« Vous voulez parler de frère Mathias Laure, le gardien du temple d’Adamant? demanda Julia. Je ne savais pas qu’il était chevalier.

— Tous les gardiens du temple sont faits chevaliers de Kusama », répondit Judith. Elle énonça ceci comme une évidence, et Julia se sentit comme bête de ne pas l’avoir su.

« Il m’a dit que vous pourriez me donner des renseignements sur une certaine personne qui a pris part à du commerce d’esclaves, dit Julia.

— Il y en a des dizaines dans cette ville, répondit Judith, à commencer par Monseigneur Warrant qui en possède quelques-uns. » Elle marqua une pause, l’air pensive, et elle regarda ses interlocuteurs successivement. « Je ne sais pas ce que vous cherchez mais bonne chance; je ne donnerai pas de renseignement qui mettrait en danger Monseigneur Warrant ou sa famille. Vous m’excuserez d’être méfiante, je ne sais même pas qui vous êtes. Mais je vous appuie dans votre quête, je ne veux juste pas y être associée.

— Mes questions ne concernent pas Warrant, dit Julia, même si je ne le porte pas dans mon cœur. » Elle soupira lourdement. « Je m’appelle Julia Vendemont; je suis la fille cadette du chevalier Basile Vendemont et de la conteuse Jeanne de la Roselière. »

Judith parut stupéfaite, et elle continua à s’occuper de Mirka. « Je connais très bien Sire Vendemont et il n’a jamais parlé de vous, dit-elle. Il a eu trois enfants, son plus jeune s’appelait Guylain et il est mort il y a quatre ans à Girtlad.

— Il a eu quatre enfants, dit Julia en haussant la voix. Guylain était mon grand frère! Et… j’ignorais totalement pour sa mort. Mon père nous a complètement déshéritées, ma mère et moi. Elle était beaucoup trop pieuse et valeureuse pour lui. Une vraie philanthrope, qui adorait Dieu et méprisait la guerre. Tout le contraire de l’homme qu’elle a marié. »

Judith s’immobilisa un instant et échangea des regards avec Julia. Celle-ci semblait chamboulée.

« Je sais que ma famille a fait la guerre à Girtlad, continua-t-elle. Guylain est-il… tombé au combat?

— Non. » Judith répondit en rigolant, mais c’était un rire plutôt embarrassé qu’amusé. « C’était en quarante-cinq, donc bien après la guerre. Il escortait un convoi d’esclaves asiyens à travers les monts, et ils ont marché dans une embuscade. Basile lui avait répété de ne pas s’aventurer par là… mais je crois qu’il cherchait à retourner à Girtlad pour quelque raison. Votre père ne s’en est jamais remis, ça l’a profondément bouleversé.

— Très bien… murmura Julia, visiblement chamboulée. Comment connaissez-vous mon père de si près?

— Hé bien, il est chevalier, donc je suis un peu à son service. Même s’il n’habite plus la citadelle depuis plusieurs années. » Judith continua de rire de plus belle. « Il voulait que j’épouse son fils Bernard. Je ne remercierai jamais assez monseigneur Warrant de m’avoir protégée sur ce coup-là. Il sait que si je m’en vais, il n’y aura personne pour me remplacer. » Elle reprit ses esprits et soupira un bon coup. « Je suis désolée, je ne devrais pas rire comme ça. Je vous présente mes condoléances pour votre frère. »

Julia baissa les yeux au sol et secoua la tête, puis elle étouffa sa soudaine curiosité pour les autres membres de sa fratrie. « Non, ça va, souffla-t-elle. Bon débarras, j’ai envie de dire. À ce sujet, qu’est-ce que vous savez sur les… rebelles asiyens? »

Mirka tourna vivement la tête vers Julia et il parut de nouveau intéressé par la conversation. « Je n’en sais pas grand-chose, répondit Judith; et je tiens à en savoir absolument le moins possible. » Elle adressa un regard réprobateur à son patient.

« Mieux vaut éviter d’aborder le sujet ici, dit ce dernier avec un rire nerveux. On pourra en discuter plus tard, en terrain moins hostile. Les murs ont des oreilles. »

À ce moment exact, la porte s’ouvrit et tous se retournèrent, et Judith haleta de surprise. Elle ravisa son expression aussitôt, se forçant d’avoir l’air naturelle. Elle était visiblement tendue.

La personne qui entra dans la pièce était en fait une renarde, elle tenait une pile de linge dans ses bras et la présence de visiteurs la prit au dépourvu. « Oh! Pardon m’dame, dit-elle; j’ignorais que vous aviez de la visite, j’aurais dû frapper. Je vous apporte la couverture que vous avez demandée. »

Judith sourit et parut soulagée. « Merci, merci. Tu peux la laisser par terre près de la porte, je vais m’en charger. »

La renarde se pressa à quitter, mais Julia l’interpela brusquement : « Attends! Ne t’en va pas! » Elle regarda la jeune femme avec l’air incrédule, et elle tourna même la tête un moment, pour être bien sure qu’elle s’adressait à elle.

Julia la pointa du doigt et mit un temps avant de dire : « On s’est déjà vues, non? »

Le visage de la renarde témoignait de sa confusion la plus totale. Elle se pointa du doigt elle-même, l’air de dire : « C’est bien à moi que vous parlez? », et elle ne sut quoi répondre. Julia fit un pas vers elle. « Comment tu t’appelles? renchérit-elle.

— Madame, ne la brusquez pas », dit fermement Judith à l’attention de Julia. Elle souriait à la renarde pendant qu’elle lui parlait. « Ne fais pas attention à elle, dit-elle calmement. Retourne au travail, s’il te plait. On discutera un peu plus tard si tu veux, ça me ferait plaisir. »

La servante quitta la pièce silencieusement et referma la porte derrière elle. Judith se remit inlassablement au travail à nettoyer la blessure de Mirka. Elle secoua la tête en soupirant. « La pauvre, dit-elle. Je ne lui ai rien demandé, elle venait seulement me voir pour souffler quelques minutes.

— C’est l’une des esclaves de Monseigneur Warrant? demanda Racoune.

— Oui… oui, il en a quatre, et c’est la plus jeune. Je suis plus proche d’elle, parce qu’elle est arrivée après moi. C’est la seule femelle; les hommes du palais et les autres servantes prennent plaisir à la rabaisser. Certains soldats se permettent même d’aller plus loin, si vous voyez. »

Racoune s’énerva et éleva la voix. « Warrant accepte tout ça? »

Judith ne répondit pas.

« Je ne vois pas ce que ça a de surprenant, dit Mirka; elle est jolie, début vingtaine et c’est une esclave donc elle ne dira jamais non. » Il tourna la tête vers la dame qui le soignait, qui lui jeta un regard assassin, et s’empressa d’ajouter : « Je ne dis pas que c’est juste, je dis simplement que son maitre l’a choisie pour une raison, et qu’à vous entendre, il a fait le bon choix. Et puis, ça n’est que mon avis, mais c’est vrai qu’elle est mignonne.

— Je suis sure de la connaitre, dit Julia. Cette voix nasillarde, cet accent de bucheron, les grands yeux noirs, ces taches noires un peu partout… comment s’appelait-elle? Sammy? »

Judith leva les yeux au ciel. « Solly, dit-elle. Elle s’appelle Solly.

— Je l’ai connue quand j’étais enfant, dit Julia qui se souvenait. Elle vient de la Roselière.

— Faux, répliqua Judith en secouant la tête; elle est née dans les hauteurs de Salamey, dans la pinède de Grantault. C’est ce qui explique ses manières de parler incorrigibles, et elle a grandi à Lumasarel.

— Elle a surement beaucoup voyagé entre son enfance innocente, son dressage et sa vente, dit Mirka. Et elle en a probablement oublié une bonne partie, on voit ça souvent chez les esclaves. Elle ne se souvient peut-être même pas de vous.

— Reste immobile, toi », grogna Judith qui avait commencé à appliquer un nouveau bandage. Elle resta concentrée sur son travail. Après un long silence, elle reprit plus bas : « Dans deux jours, le palais recevra de nombreuses convives pour l’anniversaire de mariage de Warrant. Ses chevaliers devront être de la partie, dont votre père, Basile Vendemont. Voilà, faites ce que vous voulez; je ne vous ai rien dit. Surtout, ne faites rien qui pourrait impliquer Solly. Elle est la propriété de monseigneur Warrant, et si elle devait être liée à quoi que ce soit, ça pourrait lui attirer de gros ennuis. Sa vie est déjà suffisamment dure.

— Vous ne pourrez pas la protéger éternellement, répondit Mirka. Vous êtes complice de la priver de contact extérieur et de ce fait vous vous assurez qu’elle ne sera jamais rien d’autre qu’une esclave, un bien matériel jusqu’à la fin de sa vie.

— Tu n’as aucune idée de ce que tu dis, soupira Judith.

— Au contraire, je sais parfaitement de quoi je parle; et je sais aussi que si vous nous aidez c’est un peu à contrecœur et que vous êtes déchirée par votre dévouement envers Dieu et vos responsabilités envers le seigneur Warrant. »

Judith ne répondit rien mais elle était visiblement contrariée. Mirka échangea discrètement un regard complice avec Julia pendant qu’elle avait le dos tourné.

« Mon ami Timothée ici présent souffre d’un sérieux mal de dents, dit le chat. Je sais qu’il est bien trop timide pour oser vous demander de l’aide mais ça l’incommode au point qu’il n’arrive plus à dormir. Vous croyez que vous pourrez faire quelque chose pour lui? »

Judith leva brièvement la tête vers le raton laveur, et celui-ci parut peu à l’aise. Elle soupira bruyamment et elle se mit à griffonner sur un bout de papier qu’elle avait arraché d’un grand livre, puis elle s’empara d’un flacon sur la table de travail. « Je vais te donner un antidouleur, dit-elle, ça va t’aider pour quelques jours. Prends quelques gouttes le matin et le soir, diluées dans l’eau idéalement si tu ne veux pas tout vomir derrière. » Racoune fourra le papier et le flacon dans sa besace. « Repasse me voir dans quelques jours et je verrai ce que je peux faire; aujourd’hui j’ai des préparations à faire pour d’autres rendez-vous.

— Merci mille fois, madame », dit timidement Racoune d’une voix tremblante.

Les yeux de Judith firent des bonds entre ses différents visiteurs. « Ne dis pas merci, dit-elle d’un ton neutre. Ce n’est rien, vraiment. »