À l’attention du vassal Bastien Primau de la Roselière, ainsi que de Sire Mathias Laure, de Sire Simon Warrant, seigneur de Kusama, et tous ses conseillers,
De la part de Thomas l’Aubier, gardien du sanctuaire de la Roselière,
Le 9 septembre de l’année 1042.
Une plainte a été déposée à mon endroit suite à mon altercation avec des soldats de la milice de la Roselière. Durant cette altercation, survenue dans la nuit du 22 au 23 aout, il est vrai que j’ai levé mon épée contre M. Orin Giscar en lui invectivant de quitter le sol de notre chapelle et de retourner à son poste, et l’ai aussi appelé une brute épaisse et un garde de pacotille.
Vous rappelant que, tel les miliciens qui sont prétendument chargés d’assurer le maintien de l’ordre et la protection des habitants de notre village, mon devoir est de protéger la chapelle et ses occupants; je me permets de vous répéter ce que j’ai dit à M. Giscar, à savoir que le travail de votre milice durant cette nuit a été des plus insuffisants pour stopper l’incursion des pilleurs étrangers qui ont pris le village d’assaut. Il est naturel que les villageois, les femmes et les enfants sans défense se soient rués dans notre petite chapelle pour fuir les pilleurs.
Puisque notre communauté est composée majoritairement de mineurs et d’agriculteurs, et devant l’inaction de la milice qui plaide avoir été en sous-nombre, il fallait s’attendre à ce que plusieurs essaient d’organiser une riposte improvisée en se servant de leurs pioches, de leurs piques et de leurs fourches. J’admets avoir appelé et motivé les villageois à passer à l’action, mais je trouve qu’en me désignant comme responsable du grabuge, vos soldats se sont trompés de cible.
Les étrangers sont repartis environ trois heures avant le lever du soleil. Lors d’un conseil tenu le lendemain auquel vous n’avez pas daigné vous présenter, les villageois nous ont fait part de ce qu’ils ont vécu. Entre autres, Mme Jaspin nous a dit tout abattue et en pleurs que vos miliciens l’ont ignorée alors qu’elle appelait à l’aide pour ses enfants enlevés et qu’elle avait retrouvé son mari, M. Perry, mort dans leur demeure le matin même. Les étrangers ont fait irruption durant la nuit dans au moins quatre autres maisons pour y enlever des enfants, tous de jeunes Fourrures, et pour abuser des femmes dont le mari était absent, sans rencontrer de résistance de la part de vos miliciens.
L’amassement des villageois dans et autour de notre chapelle a très assurément permis d’empêcher plus d’enfants d’être enlevés. Notre hostilité à l’approche des soldats, compte tenu du danger imminent sur nos vies, est parfaitement compréhensible. En lieu et place des excuses que vous m’avez demandées, je me permets donc de vous adresser une partie des doléances que vous pourrez accorder aux villageois pour les amener à pardonner l’incompétence de votre corps armé :
- 5 Écus pour M. Pierre Barrié, propriétaire de l’auberge du Quai Fendu, pour remplacer les provisions volées et effectuer des réparations;
- 28 Écus pour les quatre chevaux laissés au soin du palefrenier Firmin Borric, que les étrangers ont volés;
- 13 Deniers pour le clan Moirier-Lepirrin, pour les réparations à apporter à leur grange que les étrangers ont saccagée;
- 20 Écus pour le clan Lequère, dont cinq chèvres se sont égarées durant le grabuge.
Nous demandons également des excuses officielles et un engagement ferme, à la fois de vous mais surtout de Monseigneur Warrant, à combattre ces incursions de pilleurs dans notre pays qui est depuis toujours une terre d’accueil pour les Fourrures qui cherchent à fuir la guerre civile. Accorder une exemption à vie de l’impôt pour Mme Jaspin, Mme Karry et M. Tourel, dont les enfants ont disparu, ainsi qu’aux familles des victimes dont je tairai l’identité par respect, serait le strict minimum que vous pourriez faire. Et si même accorder à ces êtres endeuillés une compensation pécuniaire est un geste trop difficile pour vous, songez peut-être à financer les activités de notre chapelle qui se dévoue à leur offrir un soutien autrement inexistant.
Pour vous et en tout respect,
Thomas l’Aubier, le gardien,
Marc Lepirrin, prêtre,
Murielle Caspier, prêtresse,
Jeanne du Tailleur, conteuse.