La trahison de Krest II : Apostats

Extrait du chapitre 4 du Conte d’Adamant, « La trahison de Krest »

Lors de leur arrivée à Luma, les Tan’cap, faibles de leurs semaines de marche à travers le désert, se sont précipités sur Timo Bamarenna. Sur l’autre rive, ils pouvaient voir une terre vivante, de la végétation, des arbres et des animaux. Hommes et femmes ont crié victoire : une fin heureuse à leur périple semblait enfin envisageable.

Mais avant que les premiers marcheurs assoiffés aient eu le temps de se mettre à l’eau, le courant s’est brusquement accéléré, le ciel s’est assombri, le vent s’est levé. La tribu a alors cru avoir été rattrapée par le démon. Personne n’a osé s’approcher plus près de la rivière, désormais infranchissable, mais faire demi-tour signifiait traverser de nouveau le désert.

Devant cette impasse, le roi Garmanil a maudit Altaure l’Immortel, et c’est à ce moment que le gardien des lieux est apparu aux voyageurs. Émergeant de l’eau de Bamarenna, un ange s’est élevé devant les Tan’cap. Il était comme un soleil après un ouragan, rayonnant et réconfortant, et les Tan’cap, même les plus sceptiques, ont tous été impressionnés par sa beauté et sa majesté.

L’ange leur a dit :

« Pas un pas de plus, Enfants d’Altaure! Vous avez depuis longtemps passé les frontières de votre royaume, votre Gardien ne peut plus rien faire pour vous. D’une mer à l’autre, et sur d’innombrables milles vers le nord, ces terres m’appartiennent, et ce depuis l’Aube des temps. Je suis le Prince Adamant, et ceci est mon royaume! Et vous avez conduit la fureur de Krest à sa porte!

Le roi Garmanil a alors répondu :

— Altaure nous a déjà abandonnés et ne nous protègerait pas même si nous nous tenions juste sous son nez au cœur de son royaume. Je vous supplie, ô bon Prince Adamant! Permettez à mon peuple de se réfugier sur votre terre! Vous êtes le seul espoir qu’il lui reste pour échapper à la fureur de Krest le démon!

L’ange a répondu :

— Mon royaume a été dédié à ma Création et est resté jusque-là pur de toute vie humaine. Pourquoi accueillerais-je les Enfants d’Altaure, si lui-même les a rejetés? Comment pourrais-je avoir confiance en ceux qui ont invoqué Krest le démon à l’insu de leur Gardien?

Le roi Garmanil s’est agenouillé devant l’ange et a dit :

— Nous n’avons rien à vous offrir puisque nous avons fui nos terres. Nous n’avons à nous offrir que nos vies, et je vous rendrai la mienne sans hésiter une seule seconde, si en échange, vous vous montrez ouvert à protéger mon peuple.

— Silence, mortel! a crié l’ange. Croyez-vous vraiment que les dieux s’intéressent à vos vies? Elles n’ont aucune valeur à mes yeux! Oubliez tout de suite cette idée de sacrifice pour obtenir mon amour. Je ne partage pas cette fantaisie de mon frère Altaure. Voici ce que vous devez faire, maintenant. Tournez le dos pour toujours à Primvale et à Tan’cap! Ne priez plus jamais Altaure! Promettez-moi de m’aimer et vous pourrez franchir la rivière sans crainte! Mais une fois sur mes terres, vous ne vous prosternerez plus jamais devant quiconque autre que moi. Je serai votre seul Gardien, et plus aucun tyran ne se dressera au-dessus de vous; et tant que vous m’aimerez, vous aurez de l’eau claire, des terres cultivables et des enfants et des animaux en santé. Je terrasserai le démon Krest s’il ose pénétrer mon royaume. Si une seule personne parvient de ce côté, elle et sa descendance n’auront plus rien à craindre ni de Krest ni d’Altaure. »

Les Tan’cap n’ont pas attendu de se consulter sur la question qu’ils ont posé le genou à terre et juré fidélité au prince Adamant. Ils ont ensuite commencé à traverser la rivière sans aucune difficulté. Toutefois, au milieu de tous ces gens qui traversaient, plusieurs ont quand même été emportés par le courant et ont coulé au fond sans raison apparente, et tous ceux qui ont essayé de les aider, et qui n’avaient eu aucun mal à résister au courant, ont fini noyés eux aussi.

Le roi a demandé à l’ange :

« Pourquoi, ô grand Prince Adamant, pourquoi refusez-vous à certains de mes hommes l’accès à votre terre? Pourquoi choisir de déchirer de la sorte des familles d’innocents, après nous avoir fait comprendre que vous ne vouliez pas de notre sacrifice?

L’ange a répondu :

— Ils ont été emportés par l’eau car ils ont refusé de me jurer fidélité, ou car ils ont demandé pardon à Altaure pour avoir déserté. Vous avez défié la volonté d’Altaure et il vous a rejetés, il n’a plus rien à faire de vos excuses! Je suis votre seul Gardien, à présent! À condition que vous oubliiez Altaure! »

À la suite de ça, plusieurs Tan’cap ne voulant pas apostasier ont refusé de tenter la traversée et ont ainsi dû subir le courroux de Krest lorsque celui-ci a gagné la frontière.

Le roi Garmanil a traversé le dernier, mais celui-ci a également été emporté par le courant et a coulé au fond de Timo Bamarenna sous les yeux de ses sujets qui le regardaient de chaque côté de la rivière. Plusieurs de ses hommes se sont jetés à l’eau pour tenter de le secourir, mais ils n’ont pu faire que le suivre dans la mort.

La reine Ilga’ran a alors demandé à l’ange :

« Pourquoi, ô mon Prince, pourquoi avez-vous refusé que mon mari vienne sur votre terre? Il était sincère quand il a promis de vous être fidèle. Je l’ai vu en lui.

Le peuple de Tan’cap a écouté la réponse du prince Adamant avec beaucoup d’humilité :

— Votre mari venait sur mon royaume avec l’intention de le diriger comme le sien, en continuant d’usurper son titre de roi. Il n’avait donc pas l’intention de m’être fidèle. Mais vous, Reine Ilga’ran, de même que vos sujets qui se trouvent de ce côté-ci de la rivière, avez accepté que vous n’étiez plus chez vous et qu’il fallait donc vous plier aux lois de celui qui vous accueille généreusement et qui vous protège du démon. Les rois et les dictateurs mortels n’ont pas leur place sur ma terre! Je suis le Prince Adamant, je suis le seul digne de votre admiration et de votre vénération! Et en échange de votre admiration, vous serez autorisés à vivre sur ma terre, à y élever vos enfants et à y prospérer lors de tous les âges que ce monde traversera. »

Depuis ce jour, les humains, libres de l’oppression de leur créateur Altaure, ont rejoint le culte d’Adamant et doivent à leur nouvel ange gardien leurs vies, leurs terres et leurs richesses.