Janna ne réussit pas à dormir aussi bien que les deux renards : elle vivait toujours dans la crainte de ses cauchemars, et elle réfléchissait à ce que Meya lui avait dit.
Elle resta éveillée pendant de longues heures, couchée mais alerte aux alentours. Elle n’entendait guère d’autre que les ronflements de ses compagnons et, à un moment, les pas d’un autre convoi de voyageurs qui marchaient sur la route un peu plus loin.
Au bout d’un moment, elle fut alertée par le bruit de pas à proximité. Elle fit semblant de rien pour commencer : elle resta couchée et immobile, gardant un œil sur Meya et Nesevi, et se tenant prête à utiliser la magie si nécessaire. Elle sentit quelque chose derrière elle et entendit distinctement des grondements et des reniflements, et elle comprit qu’il s’agissait de loups sauvages. Elle se retourna brusquement sur elle-même et leva la main en direction de l’animal qui fut projeté en l’air. Un glapissement se fit entendre; elle se releva aussitôt. « Debout! dit-elle, debout! » Ils étaient une douzaine, et ils les avaient encerclés.
Les garçons se relevèrent en vitesse quoique maladroitement, mais le temps qu’ils comprennent ce qui était en train de se passer, les bêtes montèrent à l’assaut. L’une d’entre elles sauta sur Nesevi, et celui-ci réussit à la repousser du bout de ses bras en esquivant une morsure. Il se pencha ensuite rapidement pour ramasser son épée posée près de là où il était couché plus tôt. Pendant ce temps, un autre loup s’en prit à Meya, qui n’était même pas encore tout à fait debout, puis il tomba à la renverse. Il se couvrit immédiatement le visage par réflexe. La bête referma sa mâchoire sur son avant-bras, et le renard gris poussa un hurlement strident. Il donna des coups de pied à la bête, mais cela ne la rebuta pas.
Janna surveillait ses arrières, se contentant de repousser les animaux qui s’approchaient d’elle avec sa magie. Elle se retourna vivement lorsqu’elle entendit Meya crier; et alors que Nesevi arriva pour lui mettre un coup de pied, elle projeta le loup dans les airs comme elle l’avait fait avec les autres. La bête retira ses crocs brusquement, déchirant la manche de son manteau, et déchirant la peau de son bras. Elle se ressaisit aussitôt et, comme elle accourut pour se jeter de nouveau sur Meya, Nesevi s’interposa et lacéra la bête d’un coup d’épée dans l’abdomen. Le loup s’écrasa sur le sol en glapissant. Le renard roux se tourna ensuite vers le reste de la meute et projeta une volée de flammes pour les repousser. « Déguerpissez! cria-t-il. Ou je vous découpe en dés, sales bêtes! » Quelques instants plus tard, les animaux battirent en retraite.
Lorsque le danger fut écarté, Nesevi s’accroupit pour observer la morsure de Meya. Il déchira rapidement le reste de sa manche de manteau pour fabriquer une étoffe avec les lambeaux, qu’il resserra autour de son bras meurtri. À la vue de son propre sang, Meya eut la tête qui tourne et se mit à glapir et à trembler, tant de douleur et de peur que du froid qui gagnait subitement son corps.
Le cœur de Janna se resserra à la vue de la bête agonisante, mais pour ce qui était de Meya, elle se fit observatrice. Comme d’habitude dans ce genre de situation, elle ne savait pas où se mettre : Nesevi prenait toute la place.
Ce dernier transporta Meya à l’écart et ralluma le feu. Janna resta plantée à regarder le loup éventré dans la neige, puis Nesevi s’approcha pour asséner un coup final. « Cette bête a assez souffert comme ça », dit-il. Lorsqu’il planta sa lame dans le cou de l’animal, Janna glapit à son tour; bien qu’elle essayât si fort de se retenir, elle fondit en larmes.
Nesevi frotta sa lame dans la neige avec des lambeaux de vêtement pour l’essuyer de son sang. « Qu’est-ce qui ne va pas? demanda-t-il.
— Je trouve ça… tellement triste, pleura-t-elle.
— Il n’y a rien à être triste, répondit Nesevi. Ces animaux ne ressentent ni l’amour, ni la sympathie. Ils ne cherchent qu’à manger, et je suppose qu’en hiver, ils sont plus dangereux pour cette raison.
— Tu dirais comme moi si ça avait été des renards… »
Nesevi rangea son épée dans son fourreau. « Des renards ne nous auraient jamais attaqués, dit-il sur un ton réprobateur. Tu n’es pas comme eux. Ils t’auraient tuée si on les avait laissés faire. » Il s’approcha et continua, plus bas : « Aie un peu plus d’attention pour Meya. Sa vie m’est beaucoup plus chère que celle de tes congénères sauvages, et il devrait en être autant pour toi. »
Nesevi retourna s’occuper de Meya. Janna s’accroupit près de la bête; elle ne pouvait se retenir de pleurer, et elle ne s’en sentit que plus affreuse encore. Une fois encore, elle souhaita que ce qu’elle vivait n’était qu’un rêve.
Cette fois-ci, plus personne ne trouva le sommeil.