Quinze ans, c’était l’âge de la majorité chez les Fourrures; l’âge auquel elles étaient libres et considérées comme des citoyennes à part entière, des adultes accomplis et indépendants. Le vingt-huit octobre mille-six-cent-quinze à minuit sonna l’anniversaire de Nesevi de Varr qui marquerait le début de sa vie d’adulte libre, anniversaire qu’il avait attendu depuis aussi longtemps qu’il pouvait se souvenir. Il ne dormit pas cette nuit-là, tant il était excité, et aussitôt qu’il entendit les cloches de la ville sonner le début du nouveau jour, il se leva de son lit et se dirigea à pas de course vers la chambre située au bout du couloir et entra sans frapper. Il s’assit sur le lit et secoua son ami qui dormait à poings fermés.
« Meya! dit-il. Réveille-toi, mon ami! Il est minuit! »
Meya ouvrit lentement les yeux et se redressa paresseusement, tiraillé de sommeil.
« Entends-tu le clocher au loin? Dong. Dong. C’est minuit!
— Joyeux anniversaire », dit Meya. Ils s’étreignirent.
« Dès aujourd’hui, nous allons quitter cet endroit, dit Nesevi, nous allons partir vivre ensemble, voler de nos propres ailes, et nous irons découvrir le monde, toi et moi. Comme nous l’avons toujours voulu!
— Je partage ton enthousiasme, dit Meya.
— Fini, l’école, fini, la magie, fini, tous mes problèmes; je suis libéré de cette société, et plus personne ne me donnera d’ordre ou n’attendra quoi que ce soit de moi. Et avec toi à mes côtés, j’aurai la plus belle vie qu’un renard puisse rêver d’avoir.
— Je reste ici, dit Meya.
— Nous allons revoir nos amis qui sont partis avant nous. Pense à Janna! Depuis l’hiver dernier qu’elle est partie. Elle me manque. Elle sera tellement heureuse de nous revoir!
— Je ne partirai pas avec toi, dit Meya en haussant la voix.
— Quoi? Bien sûr que tu pars avec moi. Nous nous étions mis d’accord. Tu as eu quinze ans en début d’année, mais tu attendais mon anniversaire pour qu’on puisse partir en même temps.
— Je suis vraiment désolé. J’ai décidé de rester ici. »
Nesevi fut ravagé par la mauvaise surprise.
« Quoi? Tu ne peux pas me faire ça, bégaya-t-il. Tu vas rester combien de temps?
— Je ne sais pas, dit Meya. Je veux aller jusqu’au bout. Je veux tout apprendre ce qu’il y a et devenir un maitre magicien.
— Mais c’est beaucoup trop long! Ça va prendre au moins six ans! Mais… » Nesevi se forçait de ne pas pleurer. « Mais, que fais-tu de moi?
— Nous partirons ensemble lorsque j’aurai mon diplôme, si tu en as toujours envie. Et puis je suis libre moi aussi, on pourra toujours sortir quand tu voudras.
— Mais je ne tiendrai pas tout ce temps sans toi! Tu es sûr que tu veux rester?
— J’y ai réfléchi assez longtemps… désolé. »
Ils ne se dirent rien pendant un moment, constatant la tristesse dans le regard de l’un et la gêne dans le regard de l’autre.
« Dans ce cas, dit Nesevi, je reste ici moi aussi.
— Depuis le temps que tu attends d’être libre, tu n’es pas obligé de rester juste pour moi. Je sais que cet endroit ne te plait pas. Tu pourras aller voir tes parents; ils sont loin, mais imagine combien ça leur ferait plaisir de te revoir. »
Nesevi soupira. « Je n’ai pas de parents, dit-il. Si une fois je t’ai dit que j’en avais, je t’ai menti. Je ne me souviens de rien avant mon arrivée ici. Si tu ne viens pas avec moi, je n’aurai nulle part où vivre et rien à faire, alors je reste avec toi. »
Nesevi prit cette décision sur un coup de tête parce qu’il avait peur du futur, peur d’être seul, et qu’il se savait incapable de faire sa vie loin de Meya, qu’il considérait comme un modèle, et se mit comme but de le suivre et de faire sa vie avec lui.
Meya appréciait la franchise de son compagnon, mais il le voyait mal perdre tant d’années de sa vie à étudier la magie, elle qui ne l’avait jamais totalement intéressé. Meya, lui, avait comme projet de découvrir et maitriser tout son potentiel magique pour l’unique raison qu’il n’avait, dans la vie, aucun autre talent.
« Nous irons quand même voir Janna quand nous le pourrons, dit Nesevi. Je me demande ce qu’elle est devenue… »